" Ses traits étaient beaux et ses oreilles petites, ses dents blanches brillaient entre de grosses lèvres humides. Le cou d'un taureau. Les cheveux noirs frisés s'éclaircissaient sur le front et les tempes. Sa calvitie ressemblait à une tonsure. Les yeux de faïence d'Haddo ( Crowley ) avaient une expression troblante. Ils semblaient toujours braqués au loin comme deux projecteurs aux faisceaux parallèles et voir à travers le corps. "
Telle est la manière dont Somerset Maugham, qui l'avait rencontré à Montparnasse dépeint celui que beaucoup de gens tiennent pour le plus grand magicien noir du xx siècle, dans un roman justement intitulé Le Magicien.
Né en 1875 à Leamington, cité du Warwickshire, dans un milieu ultra -conservateur et bigot qui, le menaçant sans arrêt des châtiments infernaux, finit par le faire basculer du côté du Démon, Edward Alexander Crowley, après de brillantes études au Trinity College d'Oxford, hérita, à peine âgé de vint-deux ans, de l'énorme fortune amassé par son père dans le commerce de la bière. A l'instar de William Beckford et de Francis Dashwood, auxquels il s'apparente par sa passion pour l'occultisme, le travestissement, les beaux garçons et la drogue, bien décidé à profiter de l'existence, Crowley, qui avait changé de prénon, se mit à voyager et a pratiquer un alpinisme de haute qualité.
En 1898, au pied du Cervin, des compagnons de cordée l'initient à l'ordre de la Golden Dawn, dirigée par Mathers, et auquel adhéraient des personnages aussi prestigieux que Yeants, Arthur Machen et Bram Stoker.
Il prend alors le surnom, le "nomen mysticum", de Perdurabo ... et se trouve appelé aux plus hautes destinées ésoteriques, Au manoir, plus ou moin hanté, de Boleskine, sur les rives du Loch Ness, qu'il vient d'acquérir, il se livre, en compagnie d'Allan Bennett, son ami de coeur, à toutes sortes d'expériences sexuelles et de conjurations magiques, à partir d'un grimoire célèbre mais redoutable: le Livre d'Abramelin le Mage. L'exacte application des formules l'améne d'ailleurs au bord de la folie.
A la suite d'une brouille avec Yeats et Mathers, il s'en va conjurer les anciens dieux mexicains et, toujours instable, poursuit sa route vers l'Asie. Séduit par le tantrisme de la main gauche, il s'y donne à fond; puis revient à Paris et à Boleskine où il épouse Rose Kelly, la soeur d'un de ses amis. Médium remarquable, Rose, en Egypte, s'entretient directement avec le dieu Horus, tandis que Crowley correspond avec un "Supérieur Inconnu" qui l'engage à créer l'Astrum Argentinum, ordre initiatique propre à supplanter la "Golden Dawn".
Il donne désormais en pleine magie noire, se fait appeler "The Great Beast" _ celle de l'Apocalypse _, et Rose devient sa "Femme écarlate", jusqu'au jour où une crise de delirium tremens met fin à ses jours.
Crowley poursuit ses errances de par le monde, avec un compagnon, cette fois, et se fait expulser d'Algérie. Il avait pris cependant le temps d'écrire en 1906 le Livre de la Loi, prônant une religion nouvelle à base d'évocations hermétiques gréco-égyptiennes, mêlées à des conceptions de yoga. En 1914, pratiquement ruiné, il s'exile à New York, recrute des disciples fortunés pour son "Templum" et retrouve, en Edith, une nouvelle "Femme écarlate". La guerre finie il retourne, en Grande-Bretagne, liquide ses derniers biens et, après un court séjours à Fontainebleau, s'en va créer une "Abbaye de Thélème" à Cefalu, en Sicile. Là se déroulent des cérémonies magiques assaisonnées d'expériences d'amours collectives qualifiées d' "Orgies sacrées" par le Mâitre qui se fait appeler "La Bête 666", ou "Baphomet". Ses activités douteuses (on dut hospitaliser plusieurs de ses concubines) et la mort suspecte de l'un des ses quinze disciples entraînèrent la fermeture de l'abbaye, où le cinéaste américain Kenneth Anger avait pu photographier des peintures de Crowley réalisées "en état second".
Malade, drogué, bouffi de graisse, abandonné par son épouse, il voyage de nouveau et, abusant de ses dernières forces, s'abandonne à une débauche sexuelle insensée, soi-disant pour atteindre Dieu... le Dieu Pan, bien entendu, car il demeure polythéiste.
De retour en Grande-Bretagne, il propose à Churchill un moyen infaillible pour repousser par magie l'invasion allemande, mais on ne l'écoute pas plus que Gerald Gardner, car il a perdu toute créance. Finalement, une crise cardiaque l'emporte de 2 décembre 1947. Revêtu d'une robe blanche, rouge et or, la tête ceinte d'une couronne, le sceptre en main, Perdurabo vit défiler une foule très bigarrée autour de son cercueil, tandis que ses derniers fidèles chantaient son Hymne à Pan et récitaient l'Hymne à Satan, de Carducci. Incinéré, il imprègne aujourd'hui _ comme la Voisin _ l'air que nous respirons, et quelques-uns de ses disciples maintiennent ses pratiques de magie noire; ces mêmes pratiques qu'au grand scandale de l'Angleterre, on vit perpétuer sur sa tombe.
"In Nomine Dei Nostri Satanas Luciferi Excelsi"